les défis humains des maladies neurodégénératives


Vivre avec une maladie neurodégénérative est un voyage difficile où nos capacités mentales et/ou physiques diminuent progressivement.
Selon le type de dégénérescence et les zones du cerveau affectées, ces altérations peuvent s’étendre sur des années touchant progressivement différentes fonctions. Cette conscience instable de la maladie qui évolue n’a pas encore disparu complètement.

Ayant été aux côtés d’un être très cher, une de ses difficultés réveillant beaucoup d’angoisses était justement cette prise de conscience.
Bien qu’étant thérapeute et donc sensée outillée à gérer des situations complexes, en tant que proche d’une personne atteinte de dégénérescence, l’une de mes difficultés était d’accueillir sa douleur et ses prises de conscience avec toutes nos craintes respectives sans pour autant la submerger avec les miennes.

Et c’est aussi cette phase où l’on perçoit les premiers signes, où l’on constate une mémoire vacillante, des difficultés de langage ou de motricité naissantes qui peut amplifier les angoisses de ce qui est à venir.
Ce qui est très difficile avec ces troubles c’est le besoin des autres et donc la perte d’autonomie qui s’insère ainsi que les états dépressifs liés à tout cela.
C’est un moment de transition déchirant où l’on se tient au bord du précipice scrutant l’avenir avec appréhension, conscients que chaque jour pourrait, que dis-je…apportera de nouveaux défis à surmonter.

L’une des luttes les plus intenses peut être aussi celle de la révélation de la maladie à ses proches.
La décision de partager ou non ce fardeau avec ceux qui nous entourent peut être accablante.
D’un côté, il y a la crainte de les inquiéter, de les attrister, de les voir changer leur regard sur nous.
Et d’un autre, il y a le besoin d’être compris, soutenu et aimé dans cette épreuve.
Ces sentiments contradictoires créent une situation émotionnellement difficile où l’on cherche à protéger ses proches tout en cherchant à se sentir moins seul dans son combat.

En travaillant aux côtés de nombreuses équipes en maisons de repos, en centres de soins et en centres de jour, j’ai été confrontée aux nombreux défis auxquels sont confrontés tant les familles touchées par les maladies neurodégénératives que les soignants et les directions elles-mêmes.
Ces structures se retrouvent souvent dépassées, en raison du manque de ressources humaines, des limitations en termes de matériel, du manque de formations spécialisées et probablement l’essentiel : les politiques de financement qui peuvent ne pas être adaptées aux besoins réels sur le terrain!
Cela laisse trop souvent, non seulement les soignants mais aussi les proches épuisés physiquement, émotionnellement et financièrement.
La décision difficile de placer un être cher dans une structure spécialisée est alors accompagnée d’un sentiment accablant de culpabilité alors même qu’ils ont l’impression d’avoir tout essayé pour offrir les meilleurs soins à leur être aimé et malgré les efforts déployés, trouver des structures de soins capables de placer l’autonomie et la dignité des patients au centre de leur approche tout en assurant le confort des proches reste un défi majeur.
Les impératifs financiers, les contraintes logistiques et les politiques administratives peuvent souvent prendre le dessus sur les besoins humains, compromettant ainsi la qualité de la prise en charge des patients et de leurs familles et créant un écart entre les objectifs de soins et les réalités vécues.

N’est-il pas urgent que les instances décisionnelles et les décideurs politiques se recentrent sur l’essentiel en plaçant l’humain au centre de leurs actions ? on est tous d’accord et cela nécessite non seulement des ressources adéquates mais aussi une transformation profonde de la culture organisationnelle et des politiques de financement où chaque individu est traité avec compassion, respect et considération.

Cette responsabilité collective envers nos aînés est d’autant plus cruciale lorsque nous considérons l’impact dévastateur des maladies neurodégénératives sur l’identité individuelle.
L’identité, cette construction complexe de nous-mêmes est constamment façonnée tout au long de notre vie par nos expériences et nos interactions.
Dans mes formations, notamment sur la maladie d’Alzheimer, j’ai souvent utilisé l’image de la chaussette pour illustrer ce processus. Imaginez-la comme une chaussette, tissée avec soin au fil des ans. Mais lorsque la maladie neurodégénérative frappe, c’est comme si cette chaussette était détricotée, ses fibres se défaisant lentement.
Chaque symptôme, chaque perte de faculté est comme un fil qui se détache, mettant à rude épreuve cette construction fragile de l’identité. Les souvenirs qui s’évaporent, les mots qui se dérobent, les gestes qui échappent à notre contrôle… tous ces éléments qui composent notre essence sont remis en question.
Qui sommes-nous lorsque notre mémoire nous abandonne, lorsque nos paroles se perdent dans les méandres de notre esprit, lorsque notre corps refuse de répondre à nos commandes ?Cette interrogation peut être terrifiante car elle ébranle les fondations mêmes de notre être. Et pourtant, au milieu de cette tourmente il y a aussi de la lumière, aussi petite soit-elle…
La force et la résilience dont font preuve ceux qui vivent avec une maladie neurodégénérative sont admirables.
Chaque jour est une bataille mais aussi une victoire sur l’adversité.
Dans chaque sourire qui éclaire un visage marqué par la maladie, dans chaque geste d’amour et de soutien échangé avec les proches, dans chaque moment de connexion et d’humanité partagé avec la société, il y a une affirmation de l’identité, une affirmation de la valeur inestimable de chaque être humain, quelle que soit sa condition.
Comme je l’annonçais au début de cet article, naviguer à travers les méandres d’une maladie neurodégénérative n’est pas un voyage facile. C’est un périple semé d’embûches, de doutes et de peurs.
Mais c’est aussi un voyage qui révèle la force insoupçonnée de l’esprit humain, la beauté de la compassion et de la solidarité et la véritable essence de l’identité qui dépasse les limites du corps et de l’esprit.
En fin de compte c’est dans la confrontation même à l’adversité que se révèle la véritable nature de l’être humain et c’est dans la lutte contre les ténèbres que brille le plus éclatant des feux.

Bien que ça fait longtemps que j’ai vu ces films, je vous suggère les films “Still Alice” avec Julianne Moore, juste extra, tout comme Anthony Hopkins dans “The Father” offrant des récits émouvants sur les défis émotionnels complexes rencontrés par ceux confrontés à la maladie neurodégénérative.

 

Kate Rizzi,
le 24 février 2024