Je reçois Aline dans le cadre de nos séances de supervision où elle partage avec moi ses difficultés en tant que professionnelle travaillant avec des enfants “retirés” de leur famille.
Par souci de confidentialité, j’ai modifié quelques éléments de l’histoire, dont le prénom pour préserver son anonymat.
Au cours de nos séances, je fais remarquer à Aline qu’elle semble ressentir une anxiété profonde et une peur intense de l’abandon chaque fois qu’elle traverse une séparation amoureuse.
Ces émotions semblent disproportionnées.
Aline a vécu de graves traumas dans son enfance dont un inceste de manière répété qui a commencé dans sa plus jeune enfance.
Cependant, elle ne garde aucun souvenir conscient de ces expériences.
Ces émotions intenses et démesurées chez Aline m’incitent à explorer davantage les impacts des traumatismes préverbaux sur sa vie.
La mémoire implicite est une forme de mémoire qui stocke des informations sur les événements et les expériences enregistrés avant que le cortex cérébral ne soit pleinement formé, généralement avant l’âge de trois ans, avant le langage.
Ces souvenirs sont principalement sensoriels et émotionnels, éprouvés… ce qui les rend difficiles à traduire en concepts ou en mots; ils ne sont donc pas “racontables”.
Ces souvenirs semble être archivés dans des régions plus anciennes du cerveau, directement liées au corps et déconnectées de la pensée rationnelle, raison pour laquelle ces souvenirs préverbaux ne s’apaisent pas avec la logique.
Bien que ces souvenirs demeurent inaccessibles à la conscience d’Aline, ils influencent ses réactions émotionnelles et ses comportements, en particulier lors des moments de séparation amoureuse. Chaque séparation devient alors un déclencheur puissant de ces souvenirs douloureux, réveillant les émotions et les sensations de son passé.
C’est pourquoi des séparations, même si elles semblent anodines, peuvent réactiver ces blessures archaïques de la mémoire implicite, raison pour laquelle il est important de “soigner” les ruptures!
L’histoire d’Aline souligne l’importance cruciale de prendre soin de soi et de traiter ces souvenirs enfouis tout en prenant en compte les séparations comme des moments potentiellement déclencheurs.
Les traumatismes précoces peuvent “teinter” notre vie adulte de manière significative, affectant alors nos émotions, nos réactions et nos relations.
Les déclencheurs émotionnels, sensoriels,… sont des signaux d’alarme de ces souvenirs enfouis et ils peuvent nous piéger dans des schémas destructeurs si nous ne les comprenons pas.
Pour aborder ces souvenirs enfouis et aider Aline à dissocier des émotions intenses qui l’accompagnent, je m’appuie sur l’EMDR, une approche thérapeutique éprouvée pour traiter les souvenirs traumatiques ainsi que sur des exercices permettant à Aline d'”autoréguler” ses débordements émotionnels(cohérence cardiaque, des ancrages de lieux-sûr et Aline s’inscrira également à une session de plusieurs séances de mindfullness).
Cette approche, une fois le lien de confiance suffisamment instauré permet à Aline de séparer ses souvenirs de l’emprise des émotions intenses, favorisant ainsi sa guérison.
Ensemble nous avons réussi à établir un environnement sécurisé pour explorer en profondeur ses déclencheurs émotionnels, établir des liens significatifs entre ses réactions personnelles et sa posture professionnelle tout en découvrant des mécanismes d’adaptation plus fonctionnels.
Ce travail nous a permis aussi de prendre des mesures pour revisiter et guérir les blessures profondes d’Aline et a renforcé la capacité d’Aline à travailler de manière plus efficace avec les enfants qu’elle accompagne.
Kate Rizzi