La complexité des relations…mère-fils: entre loyauté, abandon et …protection excessive


“Ecoute Victor, tu arrêtes tout de suite! Tu te tais et tu m’écoutes, d’accord?!
Alors écoute bien: tes problèmes de boulot, tes problèmes avec ta femme, tes problèmes de fric, tes problèmes en général et en particulier, moi ta mère, je m’en fous comme de l’an quarante, tu m’entends? Je m’en fous mais alors je m’en fous, je peux pas te dire à quel point je m’en fous! Je n’en ai vraiment rien, rien, RIEN à foutre!!!”……..”Pendant trente ans je vous ai torchés, nourris, couchés, levés, consolés tous les trois! J’ai repassé vos chemises, lavé vos slips, surveillé vos études. Je me suis fait des monceaux de bile, je n’ai vécu que pour vous qu’à travers vous. J’ai écouté vos histoires, vos problèmes et vos chagrins sans jamais vous emmerder avec les miens! Alors maintenant je prends ma retraite! Toi il te reste une longue vie devant toi pour résoudre ta crise; moi il me reste très peu de temps pour résoudre la mienne! Alors tu permettras que pour une fois je m’occupe de mes affaires avant les tiennes!”
…..”Ah d’accord, alors quand il s’agit de ton cul c’est de l’amour mais quand il s’agit du mien c’est vulgaire!”…”Mais bien sûr que ça m’intéresse de m’envoyer en l’air…ça ne t’intéresse pas toi? Et même si c’est une belle histoire de cul, j’ai pas le droit d’en avoir moi une belle histoire de cul moi?!”….

Si ces répliques cultissimes de Maria Pacôme dans le film “la crise” font sourir, c’est peut être parce qu’elles résument avec une pointe d’humour l’un des dilemmes centraux de nombreuses relations mères-fils.
Derrière ces phrases se cachent des dynamiques émotionnelles complexes…

Prenons deux exemples concrets rencontrés dans ma pratique de thérapeute familial.
Une mère très proche de son fils depuis son plus jeune âge ayant vu le père biologique partir puis le beau-père quitter la famille de manière brutale alors que le garçon était en pleine adolescence. Ces événements ont pu conduire le fils a ressentir un profond sentiment d’abandon. Il est probable que le fait que le beau-père ait quitté la mère ait conduit le fils à se sentir obligé de rester loyal envers elle. Ce sentiment de loyauté a pu être amplifié par les expériences d’abandon vécues avec ses figures paternelles. Ce qui peut avoir comme conséquence la réticence qu’il a eu par la suite à répondre aux mouvements de tentative de retour affectif du beau-père qui l’a élevé. En effet on peut faire l’hypothèse que ne pas répondre soit une forme de protection de cette loyauté envers sa mère. Répondre pourrait être perçu comme une trahison, surtout si les départs paternels ont été perçus comme des abandons pour lui-même autant que pour sa mère!

Un autre aspect à considérer est l’impact des multiples relations de la mère sur son fils. Au fil des années, la mère a eu plusieurs partenaires, dont le fils a été informé. Ces relations ont influencé sa perception des relations et ont affecté sa stabilité émotionnelle.
Connaître les aventures de sa mère et avoir rencontré certains de ses partenaires pourrait engendrer chez lui un sentiment de confusion voir de trahison. Ceux-ci peuvent se traduire par une froideur émotionnelle dans sa relation avec elle…comme mécanisme de défense contre de futures déceptions.

Depuis quelques années, bien que le fils se sente pleinement investi dans sa propre relation de couple, il continue à éprouver des difficultés à gérer ses émotions. Il a développé une relation distante avec sa mère, sa maman qu’il chérissait tant, il reste poli et cordial mais sans gestes spontanés de tendresse. Cette distance pourrait être le symptôme de sa lutte interne pour équilibrer ses propres besoins émotionnels envers la loyauté ressentie pour celle qui lui a donné la vie. La gestion de ses émotions a été compliquée par les modèles relationnels observés et vécus durant son enfance.
Dans cet exemple il est important de noter que cette mère, encore jeune telle Maria Pacôme dans le film “la crise”, poursuit activement sa vie professionnelle, sa vie relationnelle et surtout sa vie de femme, sa vie intime. Ce développement personnel peut donner à son fils l’impression d’être “abandonné” même s’il est devenu adulte! Comme me disait une maman “quoi que je fasse ça n’est jamais la bonne distance…si je ne suis pas là, je ne le suis pas assez et je l’abandonne, si je m’intéresse à lui, je suis trop intrusive”
Lorsqu’une mère investit alors dans ses propres relations, dans sa carrière, le fils peut ressentir un manque de soutien ou de présence émotionnelle exacerbant les sentiments de solitude et d’abandon déjà présents en lui. Et cette dynamique est bien illustrée dans la réplique de Maria Pacôme: “Tu n’es pas le centre du monde, je ne vis pas que pour toi”!
Cette phrase souligne le besoin de la mère de se réaliser en dehors de son rôle parental mais ça peut être perçu par le fils comme un désaveu de ses propres besoins et créer une source de ressentiment.
On sait à quel point l’adolescence marque souvent une période de rupture et de quête d’autonomie. Dans cet exemple pour ce jeune homme, son adolescence a coïncidé avec une ruupture violente dans sa famille lorsque son beau-père a quitté le foyer. La manière dont la mère a réagi à cette période de quête d’indépendance semble avoir impacté de manière significative leur relation actuelle. Si la mère a eu du mal à laisser son fils prendre son autonomie, cela pourrait aussi avoir entravé son développement émotionnel rendant alors plus difficile pour lui de former des relations saines et autonomes à l’âge adulte jusqu’à avoir des répercussions sur la capacité à établir des relations amoureuses stables.
En effet, le modèle de relations instables et les sentiments d’abandon vécus peuvent influencer sa représentation de l’engagement et de la confiance dans ses propres relations.
La difficulté à gérer ses émotions peut aussi se manifester dans ses interactions avec sa partenaire, créant des tensions et des malentendus.
Le fils peut chercher à compenser ces carences affectives en surinvestissant dans sa nouvelle belle-famille surtout si cette dernière est d’une configuration “classique”. Ce surinvestissement peut être une tentative de combler le vide laissé par les relations familiales instables de son enfance.

Un autre type de relation parmi tant d’autes est celle d’une mère trop protectrice même lorsque le fils devient adulte. Elle le défend contre vents et marées, prend des décisions à sa place, l’empêchant ainsi de devenir autonome. Par exemple, elle critique toutes ses petites amies réduisant ainsi les chances de son fils de développer des relations amoureuses stables. Elle ment pour couvrir des petits délits qu’il a commis, ce qui lui enseigne du coup qu’il n’a pas à assumer ses responsabilités. Une telle mère malgré toutes ses bonnes intentions peut se laisser également dilapider son argent par son fils, renforçant une dépendance financière malsaine.

Cette protection excessive empêche le fils de développer des compétences essentielles à l’autonomie. Le fils deviendra probablement dépendant de sa mère pour la prise de décisions et pour le soutien émotionnel ce qui entrave sa croissance personnelle.
Sans oublier que ce type de dynamique créera certainement des tensions avec les belles-filles se sentant jugées et non acceptées…ce qui pourrait nuire à la stabilité des relations du couple du fils!
Un fils ayant été à ce point surprotégé peut avoir des difficultés à établir des relations équilibrées. Il peut chercher chez sa partenaire la même protection, voir l’idéalisation qu’il a reçue de sa mère, ce qui peut mener à des relations potentiellement toxiques. Il pourrait également repousser l’intimité et l’engagement par peur de la critique ou de l’emprise imitant ainsi la relation qu’il a connue toute sa vie avec sa mère!

Pour terminer, ces hypothèses montrent que les relations mères-fils peuvent être marquées par des sentiments de loyauté, de trahison, d’abandon, de protection excessive…malgré tout l’amour sous tendu dans la relation.
Je clôturerai sur une note positive: se rappeler que les relations mères-fils peuvent aussi être une source de force, de soutien et de grande joie réciproque.
Quelques pistes pour améliorer ces relations bien que chaque situation soit unique:
—>encourager l’autonomie et l’indépendance de son fils en lui permettant de prendre ses propres décisions et qu’il puisse apprendre de ses éventuelles erreurs
—>établir des limites claires et respectueuses dans la relation en reconnaissant les besoins et les désirs de CHACUN
—>favoriser une communication ouverte et honnête où tous deux peuvent se sentir écoutés, reconnus
—>reconnaître et valoriser les réussites du fils en lui offrant un soutien émotionnel sans être envahissante
—>accepter que chacun a le droit à une vie personnelle épanouissante en respectant les choix relationnels et professionnels de l’autre

Bien que je me sois concentrée sur les relations mères-fils il va de soi que certaines résonances existent également avec les relations mère-fille, bien que distinctes.
Chaque relation parent-enfant a ses propres défis et ses dynamiques singulières méritant toutes d’être explorées, respectées avec attention et compréhension.

N’hésitez pas à mettre un commentaire pour qualifier vos propres relations avec votre, avec vos fils…
Vos expériences apportent un éclairage précieux sur cette thématique complexe et universelle.

Kate Rizzi
Thérapeute familial