Comprendre et valoriser la différence


Les désaccords sur des prises de position sont monnaie courante et peuvent souvent conduire à des tensions.
Qu’il s’agisse de débats politiques, de questions sociales,  les divergences d’opinions peuvent créer des fossés parfois abyssaux!!!
En tant que thérapeute conjugal et familial, je vois souvent des personnes venir me consulter suite à des désaccords semblant insurmontables.

Mais je tiens à exprimer que ma motivation à écrire ces quelques lignes naît dans le fait que ces derniers temps, certains sujets semblent ne plus pouvoir être “discutés” de manière ouverte et “libre”.
J’ai l’impression que ces discussions se heurtent à des barrières infranchissables, ce qui rend le dialogue encore plus difficile et peut décourager l’un ou/et l’autre de poursuivre la conversation…

En avril dernier alors que je me rendais à la foire du livre à Bruxelles, je m’étais inscrite à une “conférence” sur le wokisme.
D’emblée, les questions que j’ai reçues étaient teintées de suspicion: “qu’est-ce que toi tu vas fouttre à cette conférence”? “ et moi “je vais écouter ce qui se dit autour de ce terme un peu fourre-tout qui manque d’une définition précise et qui semble être l’objet d’instrumentalisation politique”.
J’avais déjà vécu une expérience similaire l’année dernière après avoir publié des photos d’une expo: “ce que la Palestine apporte au monde” , expo que j’ai vue à l’Institut du monde arabe et qui m’avait bouleversée lors d’un voyage à Paris  pour voir ma fille.
Et que dire des résultats du premier tour des élections législatives en France, pas plus tard que dimanche, qui n’ont fait qu’exacerber ces divisions…
Ces expériences montrent que nous avons de plus en plus tendance à nous enfermer dans nos propres opinions plutôt que d’écouter ceux qui pensent différemment. Ne perdons-nous pas l’opportunité de comprendre ce qui motive les autres à adopter des points de vue divergents des nôtres et d’identifier les points communs qui pourraient exister malgré nos différences?
Et la difficulté semble d’autant plus accentuée par la surabondance d’infos; comment vérifier la véracité des faits? Avec cette diffusion toujours plus rapide et massive de données sur le net comment ne pas s’y perdre dans cette désinformation omniprésente? La confusion créée par ces infos contradictoires rend difficile la formation d’opinions “éclairées” et dès lors comment ne pas se méfier des médias, des institutions et même des sources “traditionnelles” de confiance qui peuvent être prises en défaut…au point où l’on peut vouloir se retirer de toute participation civique.

J’ai pu être témoin de désaccords entre de jeunes universitaires qui “froissés” dans leurs opinions en sont venus à juger non pas les propos mais la personne dont ils avaient perçu une position différente de la leur et ce avec des jugements très violents. Dès lors, je m’interroge: ne sont-ils pas d’autant plus exposés à cette surcharge d’infos? Avec un accès facile et constant à une multitude de sources ils peuvent absorber des quantités d’informations énormes en peu de temps. Et si cela pouvait les conduire à une révolte plus facile contre…qui? contre quoi?…
Encore une fois, je m’interroge: ont-ils le temps de digérer toutes ces informations ou ne fût-ce que de les mettre en perspective? Bien sûr tout depend du sujet me direz-vous…
Je repense à mon adolescence où j’adorais me rendre à la bibliothèque, je faisais tamponner ma carte pour emprunter quelques bouquins et souvent je devais payer quelques francs d’amende car je les rendais en retard…Et oui ce que je souhaitais lire, apprendre, comprendre me prenait du temps, beaucoup de temps…mais peut être que ce processus lent et méthodique (je surlignais au crayon ou recopiais sur des feuilles détachées) me permettait d’assimiler plus en profondeur certaines de ces informations…
Bien qu’il y ait un tas d’avantages à l’accès instantané à pléthore d’informations, n’y a-t-il pas un risque que la rapidité de l’apprentissage vienne au détriment de l’expérience?
L’expérience ne fait-elle pas également partie d’une maturation intellectuelle, un processus que l’on ne peut précipiter? Ne sommes-nous  pas davantage tentés de tirer des conclusions hâtives ou d’adopter des positions extrêmes sans accorder le temps nécessaire, indispensable pour évaluer les choses de manière critique et réfléchie?
J’ai le sentiment qu’aujourd’hui plus que jamais il faut beaucoup de confiance pour oser argumenter, questionner et prendre position sans craindre les risques. Aborder des sujets tels que la politique, la vaccination COVID, l’immigration, la religion et j’en passe demande un véritable courage. Nous sommes souvent poussés à croire qu’il n’existe que deux positions possibles: être pour ou contre. Et cette simplification nous fait perdre de la complexité et de la nuance, qui me semblent essentielles à une réflexion approfondie.
On est en alliance ou on est l’ennemi. Comment ne pas s’inquiéter de cette dichotomie simpliste rendant le dialogue et la nuance tellement difficiles? Toutes ces divisions et cette abondance d’informations rendent toute prise de position plus risquée et tellement plus complexe..et je repense à un ami de longue date que j’ai “perdu” durant le confinement parce que j’avais fait le choix de me faire vacciner. Bien qu’aujourd’hui je ne referais plus ce choix de l’époque, je trouve incroyable que nous soyons nombreux à ne plus oser penser par nous-mêmes SANS risquer d’être mis de côté violemment.

L’idée que nos relations personnelles puissent se déchirer à cause de nos opinions différentes est troublante. Plutôt que d’accepter la diversité des opinions et de chercher à comprendre les raisons derrière les choix des autres, nous sommes souvent tentés d’imposer notre point de vue ou de rejeter ceux qui ne  partagent pas nos convictions.
Il est évident que lorsque nos valeurs diffèrent trop ça peut nous éloigner de ceux avec qui nous avons eu jusqu’alors des relations significatives.
Mais: n’est-ce pas aussi dû à la rapidité et à la multiplicité des sources d’informations qui viennent “cristalliser” ces différences?
La surabondance et la rapidité de toutes ces infos ainsi que leur diffusion rendent encore plus difficiles les relations basées sur la compréhension et la tolérance des opinions divergentes.

J’entends souvent dire que “l’éducation aux médias est devenue indispensable”.
Oui certes, apprendre à discerner les sources fiables, à comprendre le fonctionnement des algorithmes des réseaux sociaux et à développer une pensée critique sont des compétences essentielles au 21 ème siècle mais je ne peux m’empêcher de penser que tout ne se résume pas qu’à celà!
N’y-a-t-il pas une espèce de contamination à ne pas, ne plus vouloir s’intéresser au point de vue de l’autre dès lors qu’il est en opposition avec le nôtre surtout sur des “sujets brûlants”? Comment alors recréer du lien dans ce qui peut nous unir, dans ce qui constitue NOTRE COMMUNE condition humaine?
Comment favoriser un dialogue respectueux qui invite, qui encourage des discussions ouvertes où chacun peut exprimer ses opinions sans crainte de jugement ou de rejet?
Comment s’intéresser sincèrement à ce que l’autre vit, à comprendre ses motivations et ses expériences sans systématiquement chercher à le convaincre que son point de vue est erroné?
Je me dis qu’il est urgent d’imaginer des expérimentations d’abord à des niveaux micro: dans nos couples, nos familles, dans des petits groupes…telle qu’une soirée ou une journée où l’on se réunirait autour d’une thématique. Par exemple: “peut-on rire de tout?”
Chacun serait invité (grâce à des outils tels qu’extraits de livres, articles, extraits de films, etc) à identifier les résonances de ce sujet en soi et à les exprimer. Cela pourrait être un terrain de jeu expérimental où chacun pourrait échanger librement, s’entraîner à argumenter et confronter ses points de vue avec ceux des autres. Bien sûr afin de garantir la qualité des échanges, il serait essentiel de définir un cadre méthodologique (temps de parole, durée, non-jugment, discrétion, etc). L’objectif serait d’offrir un espace d’exploration et de dialogue où la diversité des opinions serait non seulement reconnue mais également valorisée.
J’espère ne pas être maladroite et ne heurter personne à travers ma réflexion car il n’y a là nulle prétention de ma part. Mon intention est sincèrment motivée par une inquiétude réelle concernant la situation actuelle.

N’est-il pas essentiel de reconnaître d’abord l’existence d’un problème avant de pouvoir espérer un changement ,comme pour les personnes confrontées à des dysfonctionnements dont l’entourage souhaite voir un changement? de la même manière, ne devrions-nous pas nous interroger sur les bienfaits que nous pourrions tirer en reconnaissant la valeur de la diversité des points de vue…quels qu’ils soient? Comment peut-on espérer modifier un point de vue sans d’abord le reconnaître et le comprendre?
Bien que reconnaître la diversité des points de vue ne soit pas suffisant pour trouver un terrain d’entente, faire abstraction de cela rend je crois toute entente encore plus difficile à atteindre. S’intéresser aux désaccords (même et surtout ceux qui nous semblent impossibles à concilier) pourrait enrichir notre propre compréhension non seulement de nombreux sujets mais aussi de l’Autre et de nous-mêmes…Développer notre capacité à ressentir et à comprendre les émotions et les perspectives des autres pourrait nous permettre de dépasser nos propres préjugés et alors peut être de trouver des terrains d’entente.

Avec des outils adéquats, une éducation appropriée et surtout un engagement sincère envers le dialogue et le désir de compréhension mutuelle, il serait plus aisé de naviguer dans cet océan d’informations et de se frayer son propre chemin vers la vérité.
Si la clé réside dans la vigilance, la vérification et la pensée critique, une autre réside égaelment dans notre capacité à renouer les liens humains et à valoriser ce qui nous unit dans notre diversité.
La responsabilité de discerner le vrai du faux et de maintenir des relations respectueuses et ouvertes repose sur chacun de nous.

Kate Rizzi
le 3 juillet 2024